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La favela et le quartier de Vila Isabel s’auto-organisent!

Nous voilà donc à Rio de Janeiro. Immensité urbaine où s’enchevêtrent riches quartiers résidentiels, buildings d’affaires, quartiers populaires, collines et favelas.

Dès notre arrivée, nous prenons contact avec les compagnon-ne-s: le lieu du rencart c’est Vila Isabel, un quartier de la zone Nord, une des zones du militantisme de la Fédération Anarchiste de Rio de Janeiro (FARJ).

Encore assommé-e-s par la chaleur et l’humidité nous descendons du bus urbain qui, au fil des feux rouges grillés et des virages pris en trombes, nous a emmené tant bien que mal jusqu’à l’avenue principale du quartier.

On est descendu-e-s un peu au hasard, mais ça tombe bien, nous nous trouvons juste devant l’école de Samba, renommée pour la qualité de ses danseuses et danseurs dans tout le Brésil. Pas très loin, nous retrouvons R. qui nous attend devant la grille du Centre de Culture Sociale (CSS) qui abrite des activités du Mouvement d’Organisation de Base (MOB) et de la FARJ. Sur le mur, côté rue, s’étendent une douzaine de visages qui illuminent de mille couleurs une fresque populaire et militante.

IMG_2847Cet espace est ouvert depuis 2001, tout d’abord avec l’implantation de la bibliothèque Fabio Luz, du nom d’un ancien militant et médecin anarchiste. C’est une grande maison sur deux étages avec un petit jardin extérieur et un grand préau derrière. Le lieu est devenu depuis 2003 le Centre de Culture Social, où une grande partie des activités du MOB se déroulent. R. nous fait visiter l’endroit et nous décrit les activités qui sont très diversifiées : au premier étage, on trouve un atelier de sérigraphie et de muralismo, un atelier de fabrication de gâteaux desactivé, mais aussi une salle de classe pour des cours d’éducation populaire. Le centre dispose aussi d’un « bazar », une sorte de friperie populaire qui se tient tous les samedi. Le préau est utilisé pour des cours de Capoeira Angola, mais également pour des assemblées générales, des projections, des débats, des marchés et la friperie, des fêtes et des concerts. La bibliothèque, rattachée au réseau des CIRA (Centre International de Recherche sur l’Anarchisme) occupe le deuxième étage.

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En ce milieu d’après-midi de fin de semaine, le centre commence à s’animer. Des gens du quartier et des militant-e-s du MOB commencent à arriver, notamment pour les cours gratuits du soir destinés aux personnes du quartier et de la favela du “Morro dos Macacos” qui préparent l’examen d’entrée à l’université.

Autour d’un café, des militant-e-s nous racontent l’histoire de ce lieu et de celleux qui y militent.

Le centre de culture sociale est le fruit d’un vieux rêve des anarchistes cariocas qui ont tout fait pour avoir un espace propre dédié au travail social. En installant la bibliothèque sociale dans un ancien lieu communautaire du quartier, celleux, qui plus tard allaient fonder la FARJ, créaient ainsi le premier espace libertaire de la ville depuis la fermeture du Centre de d’études Prof. José Oiticica (CEPJO) par la dictature en 1968.

Le CCS va alors devenir un lieu de développement d’une activité sociale et communautaire, aujourd’hui portée par le MOB. Le Mouvement d’Organisation de Base naît d’un mouvement social de chômeurs-euses et précaires et rassemble aujourd’hui des personnes, des familles et des militant-e-s du quartier de Vila Isabel, de la favela du Morro dos Macacos (attenante à Vila Isabel) ainsi que des militant-e-s d’autres quartiers, notamment de la FARJ.

Le MOB se décrit lui-même comme un mouvement social dont l’objectif est de construire des outils de lutte, de manière collective et horizontale, pour permettre au peuple de revendiquer ses droits et les besoins immédiats tels que l’éducation, la santé, l’emploi, la culture, etc. C’est par là un moyen d’organisation collective à même de renforcer le pouvoir populaire, mais aussi de consolider des solidarités, encore appelées ici Apoio Mútuo.

Le CCS est ainsi un espace d’organisation, de rencontre, d’échange d’informations et de solidarité pour les travailleurs et travailleuses assalarié-es, chômeurs-ses et précaires. Celleux-ci s’y réunissent, se forment sur les questions liées aux droits sociaux et construisent ensemble leur mobilisation. Lorsqu’on entre dans la première salle du CCS on peut ainsi trouver des tracts, des revues et autres matériel sur la question du travail, entre autres. Un ordinateur permet également l’accès à internet de manière libre.

Cet espace s’articule avec les activités d’éducation populaire. Ce sont par exemple les « élèves » qui sont là ce soir, accompagné-e-s de professeur-e-s bénévoles, qui sont parfois de simples étudiant-e-s… un cours alternatif aux classes privées et payantes, celles qui permettent de préparer les examens d’entrée à l’université publique, et une manière de démocratiser l’accès à l’enseignement supérieur… par la base.

Une éducation populaire qui passe aussi par la conscientisation des adultes et des enfants à travers les activités de muralismo, de sérigraphie, ou encore le théâtre, les discussions, les danses, les projections de films, etc. Une quantité d’activités culturelles et politiques qui amènent à la mobilisation des habitant-e-s de la zone, notamment autour de dates symboliques de résistance comme le 1er mai, le 8 mars ou encore le jour de la Conscience Noire (20 novembre).

IMG_2844Lorsque nous repasserons le lendemain, nous pourrons aussi admirer les étals du « Bazar », la friperie communautaire… qui répond au principe d’économie populaire et permet une certaine autonomie des Morradores qui la tiennent. En effet, se démarquant de l’économie solidaire qui tend à revêtir de principes humanistes les désastres du capitalisme, notamment via son utilisation à tord et à travers par les institutions et l’action assistancialiste des ONGs, l’économie populaire permet elle de (re)mettre en avant une gestion collective et horizontale de la production et de l’économie. Les mêmes ONGs qui sont présentes en masse dans les favelas, tout comme les églises néo-pentecôtistes, et permettent le contrôle social en entravant les processus d’auto-organisation des habitant-e-s. Un contrôle social d’ailleurs doublé d’une militarisation constante, notamment via les Unités de Police Pacificatrice (UPP) en place depuis 2008 et qui, montés sur des pick-up et armés jusqu’aux dents, sillonnent les quartiers. On ne compte plus les bavures et les meurtres de la police de Rio dans les quartiers populaires et les favelas, malgré ce que prétend le gouvernement.

Tant d’activités sociales, culturelles, économiques et profondément politiques qui se développent pas seulement au CCS mais aussi dans la favela Morro dos Macacos elle-même. Mais loin de se refermer sur ses activités propres, le MOB, qui est aussi présent dans deux autres endroits de l’état de Rio de Janeiro, est aussi le lieu de connexion avec d’autres mouvements sociaux. Les militant-es de la FARJ participent particulièrement à l’articulation avec d’autres luttes, notamment les luttes paysannes, pour l’accès au transport et étudiantes et de l’éducation auxquelles illes participent.

Avant de quitter le CCS un petit tour dans la bibliothèque sociale Fabio Luz s’impose. On y trouve de nombreux ouvrages sur l’anarchisme et les mouvements sociaux, en grande partie hérités d’Ideal Peres, dont le militantisme a inspiré la FARJ. Journaux locaux (en particulier Libera, de la FARJ), nationaux et internationaux s’alignent également sur les étagères des deux pièces remplies de livres et inspirent tou-te-s celles et ceux qui fréquentent le centre…

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Nous quittons les joyeux visages de luttes et de résistances qui s’animent à l’intérieur et continuent de danser sur les murs de l’entrée pour nous plonger dans l’activité frénétique des rues de Rio et s’élancer vers d’autres inconnus toujours plus attrayants.

Encore plus d’infos ici :
https://www.facebook.com/OrganizacaodeBase/?fref=ts
https://organizacaodebase.wordpress.com/
http://www.farj.org/
https://bibliotecasocialfabioluz.wordpress.com/

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